MÉMOIRE DE LA FÉDÉRATION
DES FEMMES DU QUÉBEC (FFQ)

Pour une fiscalité au service de l’égalité pour les femmes

Ce mémoire contient trois recommandations pour faire avancer le droit des femmes à l’égalité. Il propose d’annuler les baisses d’impôt et certaines dépenses pour mieux investir dans le logement social, les services de garde, l'assurance emploi, la santé et d'autres programmes qui bénéficieront à la grande majorité des Canadiennes et Canadiens et qui créeront des emplois bien rémunérés. Il demande également que le gouvernement respecte ses engagements internationaux à l’effet de tenir compte des différences de genre et d'éliminer les inégalités dans la préparation des budgets et le développement de ses politiques fiscales. Enfin, pour protéger le droit à la retraite et sortir les femmes âgées de la pauvreté, le mémoire propose de renforcer les régimes publics notamment en augmentant le Supplément de revenu garanti de 15 %.

La FFQ est une organisation féministe autonome qui travaille, solidairement et en alliance avec d’autres groupes, à la transformation des rapports sociaux de sexe dans toutes les activités humaines en vue de favoriser le développement de la pleine autonomie des femmes et la reconnaissance véritable de l’ensemble de leurs contributions à la société.

Ses principaux objectifs sont de promouvoir et de défendre les intérêts et les droits des femmes et de lutter contre toutes les formes de violence, de discrimination, de marginalisation ou d’exclusion à leur égard. Elle vise l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les secteurs de la société et travaille à la mise en œuvre de conditions qui facilitent l’atteinte de cet objectif dans une perspective plurielle, c’est-à-dire permettant d’intégrer les femmes dans toute leur diversité d’expériences, d’appartenances ou de provenances.

La FFQ compte 185 membres associatifs et de 642 membres individuelles.

Ce mémoire est appuyé par le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail (CIAFT).

Introduction

Notre mémoire se divise en trois sections. La première traite de la nécessité de mettre les budgets fédéraux au service des femmes et des communautés en étant plus équitable et en remettant en question la façon de viser l’équilibre budgétaire d’ici 2014. La deuxième aborde la question de l’analyse différenciée selon le sexe dans la préparation des budgets de l’État. La dernière propose de réformer les régimes de retraite au Canada et au Québec de manière à garantir une meilleure retraite aux personnes âgées et à permettre aux femmes âgées de sortir de la pauvreté.

Une fiscalité plus équitable et au service des femmes et des communautés

Lors du budget adopté en juin 2011, le gouvernement a annoncé son intention de revenir à l’équilibre budgétaire en 2014-2015, un an plus tôt que prévu. Cet objectif doit se réaliser au moyen de coupes de 4 milliards de dollars par année. Ainsi, le gouvernement procède actuellement à un projet d'« examen stratégique et fonctionnel » des dépenses étatiques. Tous les ministères et organismes fédéraux auraient reçu la demande du Conseil du Trésor de fournir deux scénarios de compressions capables de générer des économies permanentes représentant 5 % et 10 % de toutes leurs dépenses de programmes directes. On peut imaginer que ces coupes touchent à des programmes et à des services, mais lesquels? Qu’est-ce qui sera épargné? Au Centre canadien de politiques alternatives, on estime que ces compressions entraîneront 80 000 coupes d’emploi dans la fonction publique[1]. Déjà, les coupes ont commencé sans que l’on connaisse le plan et sans véritable débat public.

La FFQ est profondément inquiète du manque de transparence de la démarche, mais plus encore de l’impact que ces coupes pourraient avoir sur la qualité et l’accessibilité des services publics et sur les conditions de vie des femmes.

Les écarts de richesse ne cessent de grandir au Canada et les femmes sont aux premières loges de cette injustice, se plaçant plus nombreuses au rang des personnes pauvres et des mal logées.[2] Pour les femmes autochtones, le manque de logement sur les réserves et le surpeuplement que cela entraîne les met davantage à risque de subir de la violence sexuelle ou physique. Quant aux femmes âgées, elles sont particulièrement affectées par la pauvreté. Selon le Conference Board of Canada, entre 2006 et 2009, il y a eu une augmentation de 128 000 personnes âgées vivant dans la pauvreté, dont 70 pour cent sont des femmes[3].

Toujours selon le Conference Board of Canada, les politiques fiscales ne servent plus autant à réduire les écarts de richesse, principalement parce que les programmes sociaux, notamment l'assurance-emploi et l'assistance sociale, ont été coupés en même temps que les impôts des contribuables à revenu élevé ont été réduits. La grande majorité des personnes qui ont profité des réductions d'impôt sont des hommes alors que les femmes ont été davantage touchées par les coupes dans les programmes sociaux. Les dernières réductions d'impôt dont le gouvernement Harper s'est tant vanté au cours des récentes élections n'ont touché que les ménages les plus riches. Par exemple, le fractionnement du revenu familial aux fins du calcul de l’impôt, déjà en vigueur pour les couples âgés et pressenti pour les autres couples, profiteront surtout à une poignée d'hommes qui sont suffisamment riches pour permettre à leur femme de ne pas exercer un emploi. Cette mesure pourra également avoir pour effet de décourager le travail rémunéré des femmes et ainsi, renforcer leur dépendance à l’endroit de leur conjoint. Or, si les mêmes montants étaient investis dans des services de garde, davantage de femmes pourraient atteindre l'autonomie financière, comme cela s'est déjà produit au Québec. On créerait également beaucoup de nouveaux emplois décemment rémunérés. De même, les nouveaux crédits pour les «aidants naturels» ne rejoindront pas les personnes qui offrent des soins aux autres, principalement des femmes, puisque celles-ci n'ont pas assez de revenu pour bénéficier d'une réduction d'impôt. Il faudrait plutôt offrir un crédit remboursable ou financer davantage de services à domicile.

Il serait possible de réduire le déficit, sans coupures dans les programmes sociaux, en rétablissant les taux de taxation des grandes entreprises et les contribuables à haut revenu. Il n’est pas nécessaire non plus de dépenser autant pour les activités militaires (un sommet de 22 milliards $) et pour les controversées F35 (plus de 30 milliards $?). Au lieu de s'attaquer aux racines de la criminalité, notamment la pauvreté et l'absence de soutien aux enfants en difficulté ou aux personnes ayant des problèmes de santé mentale, on prévoit une augmentation annuelle de plus d’un milliard par année[4] pour soutenir un durcissement de l'approche en matière de criminalité, une approche qui a souvent pour fondement le profilage racial et qui se traduit par l’emprisonnement disproportionné de femmes autochtones ou racisées.

Une autre approche axée sur le respect et la promotion des droits humains, notamment ceux des femmes, sur l’égalité sociale et sur la recherche d’une justice fiscale, aurait un effet nettement plus avantageux pour le développement de nos communautés. Au lieu de couper des emplois dans la fonction publique et de privatiser les services, nous pourrions maintenir des emplois de qualité pour les femmes tout en renforcissant l'accès universel aux services de santé, d'éducation, de la garde des enfants[5],... L'investissement dans le logement social et abordable aurait non seulement un impact significatif sur la réduction de la pauvreté et de la précarité mais créerait également un grand nombre d'emplois partout au pays élargissant ainsi l'assiette fiscale et contribuant d'une autre façon à la réduction du déficit. Une relaxation des critères d’admissibilité à l’assurance emploi et une amélioration des prestations parentales et de compassion iront loin dans l'élimination de l'iniquité à l'égard des femmes dans ce programme; actuellement seulement 32 % des femmes à la recherche d'un emploi y ont accès, comparativement à 40 % des hommes[6].

Recommandation 1

Que le gouvernement augmente ses investissements dans des programmes sociaux comme les services de garde, le logement social ou l’assurance-emploi et que dans sa recherche d’un retour à l’équilibra budgétaire, il annule les baisses d’impôt et la hausse des dépenses militaires et pénales afin d’instaurer une approche plus équitable en matière fiscale.

Soumettre les politiques fiscales à une analyse féministe

L’histoire nous enseigne que lorsque l’on prend pour acquis que les politiques ont les mêmes impacts sur les femmes que sur les hommes, on se trompe. Malgré les rôles qui tendent à changer, la division sexuelle du travail entre les sexes continue d’avoir un impact majeur dans la vie des familles, dans l’économie et l’organisation sociale. Cette division est également empreinte d’une hiérarchie qui affecte l’égalité des sexes au détriment des femmes. Tranquillement, ces différences et ces injustices s’amenuisent parce que les états, sous l’influence notamment des mouvements féministes, ont accepté d’introduire des mesures pour atténuer ou redresser la situation.

Le gouvernement du Canada a signé un ensemble de conventions et de pactes qui visent à contrer les inégalités structurelles vécues par les femmes. Ces conventions et pactes créent des obligations pour le gouvernement quant à ses politiques. Concrètement, il a l’obligation de tenir compte des différences de genre et de viser l'élimination des inégalités dans le développement de l'ensemble de ses politiques, y compris dans la préparation de ses budgets. Spécifiquement, l’obligation d’introduire un budget « genré » se trouve dans la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ratifiée par le Canada en 1981. Elle se trouve également dans le Programme d’action de Beijing auquel le gouvernement du Canada a exprimé son accord inconditionnel. Selon ONU femmes[7]:

(…) gender-responsive budgeting seeks to ensure that the collection and allocation of public resources is carried out in ways that are effective and contribute to advancing gender equality and women’s empowerment. It should be based on in-depth analysis that identifies effective interventions for implementing policies and laws that advance women’s rights. It provides tools to assess the different needs and contributions of men and women, and boys and girls within the existing revenues, expenditures and allocations and calls for adjusting budget policies to benefit all groups.

Gender-responsive budget analysis, along with legislation, and other practical policy measures can address gender bias and discrimination.

Sur la bonne voie, en 1995, le gouvernement s’est engagé à instaurer l'analyse comparative entre les sexes dans tous les ministères et organismes fédéraux dans sa politique. À l’aube du XXIe siècle: Plan fédéral pour l’égalité entre les sexes[8].

En 2011, quelles sont les avancées en matière de budgétisation?

Les gouvernements successifs n’ont pas implanté cette approche. En particulier, en 2009, le gouvernement Harper a reculé en abolissant le droit des employées du secteur public de contester l'iniquité salariale devant la Commission canadienne des droits de la personne et en refusant d'adopter une loi proactive d'équité salariale pour les secteurs sous sa compétence. Comme nous l'avons démontré, les politiques budgétaires ont plutôt eu pour effet d'accroître les inégalités sociales et, donc, d'appauvrir davantage les femmes. Les discriminations perdurent. Il est temps d’agir et de respecter enfin ses engagements internationaux.

Recommandation 2

Que le gouvernement développe une politique de budgétisation « genrée », appuyée sur une analyse approfondie de la situation des femmes, qui a pour objectif de faire avancer le droit des femmes à l’égalité.

La réforme des régimes de retraite au Canada

Les femmes continuent d'assumer la majeure partie du travail domestique et de soins aux personnes non-rémunéré et, en conséquence, d'être moins présentes sur le marché du travail que les hommes. Or, à l’exception de la Pension de la sécurité de la vieillesse et son pendant le Supplément de revenu garanti, les régimes de retraite, publics et privés, sont construits sur la notion de travail rémunéré et non sur l’apport des femmes à la société et leur contribution plutôt invisible à la production nationale. De plus, avec l’effondrement des régimes de retraite offerts par les employeurs, les rares femmes qui y avaient accès ne peuvent plus compter sur ces revenus et les jeunes ne peuvent plus s’attendre à ce que les employeurs les développent. Les bas revenus des femmes (toujours inférieurs à ceux des hommes)[9] les désavantagent également au moment d’investir dans un REER. En conséquence, les femmes, particulièrement celles qui sont déjà à la retraite ou proches de la retraite, n'ont pu contribuer au Régime de rentes du Québec ou au Régime de pensions du Canada ni accumuler d'autres fonds de retraite à la même vitesse que les hommes. Tel que démontré précédemment, cela se traduit par un nombre élevé de femmes âgées vivant dans la pauvreté ou la précarité, d'autant plus que les femmes vivent plus longtemps que les hommes et se retrouvent plus souvent seules dans leurs dernières années.

Il y a urgence d’adopter une approche collective et concertée à la situation des retraites. Nous proposons que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces afin d’harmoniser une nouvelle approche basée sur le renforcement des régimes publics en vue d’assurer une retraite décente pour toutes et tous.

Recommandation 3

Que les gouvernements du Québec, du Canada et des autres provinces se concertent afin d’instaurer une réforme des régimes de retraite de manière à assurer une meilleure retraite aux personnes âgées. Plus spécifiquement, nous proposons de doubler, graduellement, les rentes du Régime de rentes du Québec et du Régime de pensions du Canada, de prévoir une extension de la couverture à des revenus plus élevés et d’augmenter l’exemption; de majorer sur-le-champ d’au moins 15 % le Supplément de revenu garanti payé aux personnes aînées les plus pauvres, de procéder à l’inscription automatique des personnes admissibles et de payer la pleine rétroactivité à ceux et celles qui ont été lésés par l’application du programme actuel. Nous demandons aussi de s’assurer que les rentes des régimes de pensions à prestations déterminées ne soient pas compromises : améliorer les règles de financement et de surveillance de ces régimes et augmenter la priorité des créances de retraite en cas de faillite; une fois ces mesures en place, d'envisager la création d’un fonds d’assurance pour ces régimes.

Conclusion

Nous aurions eu d’autres recommandations mais l’espace accordé, tout comme les délais prescrits par cette consultation, ne le permettent pas. Nous invitons les membres du comité à revenir à une forme de consultation plus ouverte et dans des délais plus adéquats.

Liste des recommandations

1.   Que le gouvernement augmente ses investissements dans des programmes sociaux comme les services de garde, le logement social ou l'assurance-emploi et que dans sa recherche d'un retour à l’équilibre budgétaire, il annule les baisses d’impôt et la hausse des dépenses militaires et pénales afin d’instaurer une approche plus équitable en matière fiscale.

2.    Que le gouvernement développe une politique de budgétisation « genrée », appuyée sur une analyse approfondie de la situation des femmes, qui a pour objectif de faire avancer le droit des femmes à l’égalité.

3.    Que les gouvernements du Québec, du Canada et des autres provinces se concertent afin d’instaurer une réforme des régimes de retraite de manière à assurer une meilleure retraite aux personnes âgées. Plus spécifiquement, nous proposons de doubler, graduellement, les rentes du Régime de rentes du Québec et du Régime de pensions du Canada, de prévoir une extension de la couverture à des revenus plus élevés et d’augmenter l’exemption; de majorer sur-le-champ d’au moins 15% le Supplément de revenu garanti payé aux personnes aînées les plus pauvres, de procéder à l’inscription automatique des personnes admissibles et de payer la pleine rétroactivité à ceux et celles qui ont été lésés par l’application du programme actuel. Nous demandons aussi de s’assurer que les rentes des régimes de pensions à prestations déterminées ne soient pas compromises : améliorer les règles de financement et de surveillance de ces régimes et augmenter la priorité des créances de retraite en cas de faillite; une fois ces mesures en place, d'envisager la création d’un fonds d’assurance pour ces régimes.



[1].     http://www.policyalternatives.ca/newsroom/news-releases/federal-budget-set-unleash-significant-program-spending-cuts-ccpa.

[2].        En 2006, plus de 40% de ménages ayant une femme comme principal soutien financier consacraient plus de 30% de leur revenu au logement. Ils étaient plus de 17% à y consacrer plus de 50%. http://www.frapru.qc.ca/IMG/pdf/FRAPRU_femmes_2010_v_web.pdf.

[3] .    http://www.conferenceboard.ca/hcp/hot-topics/canInequality.aspx.

[4].     http://www2.macleans.ca/2011/07/19/canadian-prison-costs-increase-86-per-cent/.

[5].        Lorsque le gouvernement fédéral choisit d'investir dans les domaines de compétence provinciale comme les services de garde, la santé ou l'éducation, le Québec devrait avoir le droit de se retirer avec compensation.

[6].     http://www.policyalternatives.ca/publications/reports/les-femmes-et-le-programme-dassurance-emploi.

[7].     http://www.unifem.org/gender_issues/women_poverty_economics/gender_budgets.php.

[8].     http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/Collection/SW21-15-1995F.pdf.

[9].     Selon Statistiques Canada, le revenu moyen des hommes en 2008 était de 47 000$ par année alors qu’il était de 30 100$ pour les femmes. Et pour la tranche d’âge entre 35 et 55 ans, l’écart de revenu est de 20 000$. http://www.statcan.gc.ca/pub/89-503-x/2010001/article/11388-fra.htm. De plus, les femmes travaillant à temps plein continuent de gagner environ 70% du salaire des hommes. Cet écart n’a à peu près pas bougé depuis 1991. http://www.statcan.gc.ca/pub/89-503-x/2010001/article/11388/tbl/tbl007-fra.htm. Même si l’écart dans le taux horaire entre les femmes et les hommes tend à diminuer, les responsabilités sociales et familiales des femmes les amènent souvent à travailler moins d’heures, ce qui fait qu’elles ont toujours moins d’argent en fin d’année pour investir dans un RÉÉR.